Cet article se veut un hommage à mon héritage, autrefois, inconnu.
Je suis née d’une mère canadienne et d’un père français. J’ai débuté les premières années de ma vie dans le plus petit pays du continent africain : le Togo. Je suis revenue au Québec durant mon enfance, j’ai toujours considéré le Québec, le Canada, comme mon pays d’origine. Plus jeune, je ne m’intéressais que très peu à mes racines françaises. En revanche, malgré l’océan qui nous séparait, j’ai toujours eu un contact privilégié avec mes grands-parents paternels. Du plus loin que je me souvienne, nous avons toujours eu la chance de nous parler au téléphone mensuellement, échangeant sur nos réalités différentes. Cela dit, la dernière fois que nous nous étions vus datait de mes premières années de vie au Togo. C’est seulement en 2017 que j’ai pris la décision de me rendre en France pour rencontrer mon grand-père, déjà bien âgé.
C’est ainsi qu’innocemment, j’ai pris mon sac à dos et je suis allée passer plusieurs semaines en France. J’ai fait le tour de ce pays bien accueillant qui fait partie de moi, de mon sang. J’ai terminé mon périple à La Rochelle, ville de bord de mer où l’ensemble de ma famille réside.
C’est à ce moment que j’ai rencontré pour la première fois mon papy, André. Un tout petit bonhomme, mais d’une bien grande âme. C’est du haut de ses 96 ans qu’il m’a accueilli dans sa petite maison, comme si nous nous étions toujours fréquentés. Je vous épargne les émotions qui ont émané de cette première rencontre, là où j’ai fait la connaissance d’un grand homme, plein de vécu et de bagages historiques sur ses épaules.
Alors que nous discutions tout bonnement de l’histoire de France, il mentionne anodinement ces années d’ancien combattant lors de la Seconde Guerre mondiale. Jamais personne de mon entourage ne m’avait déjà mentionné que mon grand-père avait combattu pour l’armée française lors de la Deuxième Guerre mondiale. J’étais à la fois impressionnée et sidérée. Cet homme, qu’était mon grand-père avait fait partie d’un des évènements historiques les plus importants du monde. Il m’a mentionné ne jamais avoir réellement abordé cette période de sa vie avec ses enfants, et semblait étonné que je m’y intéresse. En y réfléchissant bien, il était fort probable qu’il n’ait pas eu le choix de participer à la Guerre : un jeune homme de 18 ans en 1939 …
Nous avons discuté de la bataille des Ardennes à laquelle il a participé comme chauffeur de tank. Il m’a partagé, avec émotions, tous les combattants qui ont perdu la vie lors de cette bataille. Nous avons discuté de la perte de son ouïe suite aux bombardements quotidiens; de sa déportation en Afrique du Nord à la suite de cette bataille historique; de son retour en France plusieurs années plus tard. J’étais fascinée par la richesse de son discours, et je le suis toujours à ce jour. Avec fierté, il m’a sorti ses médailles de décoration des vétérans, médailles qu’il n’avait jamais montrées à personne. J’ai compris à ce moment à quel point un patrimoine familial peut être riche.
Tout cela pour dire que, bien sûr, lorsque les médias ont commencé à parler de la guerre en Russie, la première personne à qui j’ai pensé est mon papy. Maintenant âgé de 101 ans, il vit toujours à La Rochelle et nous continuons à entretenir notre relation à distance. Je pensais à tout ce que cette nouvelle d’actualité pouvait lui faire revivre comme émotions, près de 80 ans plus tard.
Lors de notre dernière discussion datant de la fin février, je lui ai posé la question suivante : ça fait quoi, comme ancien combattant, de revivre une deuxième guerre? C’est bien lucide et bien humble qu’il m’a répondu la phrase suivante :
« J’ai l’impression de me retrouver près de 50 ans en arrière. Les années passent, mais les guerres de territoires restent. C’est le même modèle qu’en 39-45. J’ai bien l’impression que je ne verrai pas la fin de cette guerre ». Et d’ajouter, avec son humour habituel « Je pourrais bien retourner combattre, à l’âge que j’ai, je n’ai plus grand-chose à perdre! ».
Nous avons discuté pendant plus d’une heure sur le sujet. Il me partageait ses inquiétudes et l’invraisemblance de vivre deux guerres dans une vie. Certes, il vit la guerre actuelle bien différemment; de loin, derrière son écran. Cela étant dit, j’ai senti dans son discours, beaucoup d’émotions et d’empathie pour tous ces gens qui vivent de près ou de loin les conséquences de cette guerre. J’ai ressenti de la peur, la peur que pourrait prendre l’ampleur de cette guerre. J’ai ressenti que malgré les années passées, il était toujours aussi imprégné de la guerre, imprégné de tout ce qu’il a été obligé de côtoyer comme réalité. J’ai compris à ce moment, que malgré ces longues années de vie, il n’avait rien oublié de ces années de combattants, et que la guerre ferait partie de lui jusqu’à la fin, comme vétéran.
C’est aussi à ce moment, que j’ai compris que nous avons tant à apprendre de notre patrimoine familial. Qu’il peut cacher des choses tellement riches si nous ne prenons pas la peine de chercher. Qu’il est important de prendre le temps d’écouter nos ainés, ils sont riches en histoire, en émotions, en vécu; il suffit de leur laisser la place de nous raconter.